La pyramide des besoins RH

Pyramide des besoins RH

De l’intuition au modèle

Lorsque l’on m’a confié la direction de Yootalent, j’ai été confronté à une question assez classique pour les entrepreneurs : quel est mon marché ? J’en avais une petite idée, ayant déjà créé ce type d’entreprise, mais ce n’était pas suffisant pour savoir précisément où nous allions.

Comme tout projet, Yootalent a démarré sur une intuition : les nouvelles générations qui arrivent sur le marché du travail ont faim de nouvelles pratiques managériales appuyées sur des technologies agréables et efficaces ; or les technologies, en entreprise, ne correspondent absolument pas à leurs pratiques et sont trop liées à des processus de gestion rigides ne laissant pas la place à l’innovation managériale pourtant souhaitée par ces nouvelles générations. Résultat : les collaborateurs et les managers sont frustrés, donc moins bons, donc l’entreprise est moins performante.

De là, Yootalent a développé des apps RH au gré d’opportunités ou d’idées, toutes liées par une expérience utilisateur exceptionnelle destinée à engager les collaborateurs : travail en réseau, UI, gamification, etc. Nous avions des comptes freemiums qui utilisaient l’app gratuite “Entretiens professionnels” (l’entretien pro tous les deux ans est une obligation en France, ce qui faisait de l’app une bonne base d’upsell) et quelques clients premiums qui utilisaient l’app “Évaluations et feedback” pour du feedback continu et des entretiens managers/collaborateurs réguliers. Il s’agissait plutôt d’entreprises entre 20 et 80 personnes mais, étonnamment, nous avions également des grands groupes qui s’inscrivaient et testaient l’application.

Bien que nous avions quotidiennement des inscriptions sur le site, nous ne savions pas exactement pourquoi elles avaient lieu ni ce qui permettrait de les démultiplier. Je voyais également d’autres apps RH émergeant dans notre écosystème et il me fallait savoir comment me positionner par rapport à elles : étions-nous vraiment en concurrence ou simplement complémentaires ? Pourquoi une entreprise choisirait-elle cette solution-là plutôt que la nôtre ? Quel besoin satisfaisait-elle que je ne satisfaisais pas ? Il me manquait un modèle explicatif.

Je suis donc parti du besoin de l’entreprise — duh !

La pyramide du besoin RH

Selon la taille, selon le secteur, selon la maturité RH, le besoin RH n’est pas identique et donc la réponse ne peut pas être la même. Jusqu’ici, rien que du bon sens. J’ai continué dans cette direction et me suis souvenu de cette étude qui appliquait aux entreprises les modèles d’analyse psychiatriques (et qui conclut que les entreprises sont des psychopathes 😱). Sans aller jusque là, j’ai également “humanisé” l’organisation et lui ai appliqué… la pyramide de Maslow. Cela m’a donné la pyramide des besoins RH (merci à Fabrice pour la mise en forme !)

Ainsi, les process RH dont a besoin l’entreprise pour vivre, voire survivre, touchent à la rémunération, à la gestion du temps (pour éventuellement le facturer), etc. Tout ce qui est proche des finances. Une entreprise en démarrage n’ira pas vraiment plus loin. Elle se concentrera sur l’essentiel, c’est-à-dire la paie. Tout le monde fera un peu de tout, personne ne sera précisément dans une case.

Deuxième niveau de conscience (!) : des gens travaillent ensemble, ils ont des compétences, il faut les développer. Ou aller en chercher d’autres. Ou s’assurer qu’ils ne les perdent pas. Bref, l’organisation, pour s’assurer d’une certaine sécurité, doit s’intéresser au développement des collaborateurs, au recrutement, à l’évaluation de leur niveau, etc. L’entreprise commence à avoir des rôles plus précis : commerciaux, support, développeur, etc.

Au troisième niveau, l’organisation a conscience que les collaborateurs travailleront plus efficacement s’ils ont des objectifs, si on leur permet de collaborer, si des processus sont mis en place pour assurer une communication interne saine, etc. C’est à ce niveau-ci que les nouveaux modes managériaux sont expérimentés : fixation d’objectifs OKR, feedback continu, recommandations entre pairs, etc.

Enfin, selon moi, au dernier niveau de cette pyramide, là où la GRH atteint sa granularité la plus fine (le collaborateur), se trouve l’organisation centrée sur le collaborateur (employee-centric). Ici, nous retrouverons tout ce qui a trait à la qualité de vie au travail, l’équilibre vie privée-vie professionnelle, etc. Une organisation ne peut s’y intéresser de manière pérenne que si elle a satisfait tous les besoins précédents.

On pourrait croire de ce qui précède que les derniers niveaux ne sont accessibles qu’aux grandes entreprises ou aux entreprises établies. Ce n’est pas tout à fait vrai : une petite entreprise satisfera plus facilement ses besoins de base et pourra donc monter plus rapidement la pyramide. Si mon business model est bon, si mon organisation est bonne, si j’ai les bonnes personnes aux bons endroits, je pourrai pratiquer un management collaboratif (par exemple), prendre en considération les attentes de mes collaborateurs et m’assurer de leur bien-être professionnel (toujours dans l’objectif d’une meilleure performance organisationnelle).

So what ?

Admettons. Mais à quoi cela sert-il ? Ce modèle (sans doute très imparfait) me sert en réalité de boussole, il me permet de prendre des décisions plus rapidement et plus sûrement… Quelques exemples de questions auxquelles il devient plus aisé de répondre :

  • Que faisons-nous ? Travaillons-nous en bas de la pyramide, en haut, au milieu ? Sommes-nous sur des processus vitaux pour l’entreprise, sur de l’aide au management, sur autre chose ? Réponse : nous nous focalisons sur le collaborateur et lui construisons un espace RH à lui, qui rassemblera l’ensemble des outils RH de l’organisation, selon ses codes à lui. Nous nous greffons au dessus des SIRH existants et les ré-orientons vers le collaborateur. Et lorsque les apps n’existent pas, notamment au niveau 3, nous les construisons.
  • Nous adressons-nous aux grandes entreprises ? Je mentionnais plus haut que certaines grandes entreprises s’inscrivent ou nous contactent et que cela nous avait étonné, de prime abord. À vrai dire, d’après ce modèle, c’est normal : les grandes entreprises ont satisfait l’ensemble de leurs besoins primaires et cherchent donc à se renouveler aux niveaux 3 et 4. Donc nous pouvons effectivement nous adresser à certaines grandes entreprises s’engageant dans l’employee-centric.
  • Où se trouvent les autres entreprises du secteur ? Payfit, par exemple, se situe au niveau 1, c’est-à-dire que leur solution répond à un besoin essentiel des entreprises (qu’on imagine relativement petites, plus rapidement capables de changer de fournisseur). Grâce à une excellente expérience utilisateur, l’entreprise se développe rapidement et travaille son upsell en grimpant la pyramide pour offrir des outils plus classiques de SIRH. Une entreprise comme Javelo se concentre (avec talent !) sur une fonctionnalité de niveau 3. De taille plus importante, un Talentsoft souhaite couvrir (couvre ?) l’ensemble de la pyramide.
  • Quelles conséquences si je choisis de développer la fonctionnalité X plutôt que Y ? Ce modèle permet de mieux comprendre les implications de nos choix et donc de mieux prédire. Par exemple, d’après le modèle, si nous souhaitons toucher des entreprises plus petites, il est vraisemblable que nous devrons développer ou nous connecter à des apps de niveaux 1 et 2.

Bref, je ne dis pas que c’est un modèle absolu et je ne compte de toute façon pas le publier dans une revue scientifique… Mais ce travail nous a d’abord permis de mieux comprendre le client et comment nous répondions à ses préoccupations.

Cette modélisation de mon marché me permet de mieux voir, plus loin et de faire des choix. Trois pouvoirs précieux dans une startup ! Peut-être pouvez-vous le prendre, le tordre, le retourner et l’appliquer à votre secteur ? Tenez-moi au courant !

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